Au large du Cap Bon : Zembra, Tunisie
Zembra
Dans d’autres articles présents sur ce site, j’ai évoqué un « paradis perdu », Safaga en 1982 ou un site « loin des sentiers battus », Djibouti. Les évènements actuels de janvier 2011 en Tunisie m’amènent à vous parler d’un endroit que très peu de plongeurs connaissent : l’Ile de Zembra.
C’est à Zembra que j’ai découvert ce qui est devenu une véritable passion : la plongée sous-marine.
L’histoire commence en 1974.
Le voyage
J’avais déjà, quelques années auparavant, tâté de la plongée en apnée et de la chasse sous-marine au Club Med de Cadaquès et je souhaitais vivement essayer la plongée avec scaphandre.
En parcourant les catalogues d’une agence de voyage, je tombe, par le plus grand des hasards, dans une brochure, sur une page consacrée à l’Ile de Zembra en Tunisie. A l’agence, on me vante le charme et le confort de Djerba, de Tabarka, mais personne ne peut me fournir le moindre renseignement quand à la destination que j’ai choisie. Tant pis, on réserve.
Voyage sans histoire par Tunis Air de Bruxelles à Tunis et arrivée au milieu de la nuit.
Au terminal de l’aéroport, les guides se pressent avec leur pancarte et entraînent les groupes pour l’hôtel X ou Y. Une dizaine de touristes, dont je fais partie, restent seuls dans le hall déserté jusqu’à ce que quelqu’un nous demande quelle est notre destination. Lorsque nous répondons que nous allons à Zembra, le responsable de Sunair, notre tour operator, s’exclame : « Zembra ! Allons bon, les problèmes recommencent… »
Les vacances commencent bien.
On nous emmène dans un hôtel (assez miteux) à la limite des souks de Tunis en nous expliquant qu’il est impossible d’aller à Zembra pour le moment : la mer est trop agitée.
Il est très tard. Nous allons nous coucher.
Le lendemain matin à 7 heures, branle bas de combat, changement de programme. La mer s’est calmée. Petit déjeuner avalé en vitesse et nous partons dare-dare.
120 km de route dont une bonne moitié sur des chemins de terre en traversant des villages qui n’ont jamais vu de touriste et nous arrivons à Sidi Daoud, petit port de pêche à proximité du Cap Bon.
Bien avant d’arriver au village, une odeur très forte nous accueille. Au port, l’odeur est devenue pestilentielle. Nous apprenons qu’une conserverie de poissons est installée à Sidi Daoud, que les frigos sont restés en panne plusieurs jours avec pour conséquence des tonnes de poisson avarié. Les déchets s’entassent en plein soleil, derrière l’usine.
Un bateau nous attend pour nous emmener sur l’île.
Nous embarquons avec soulagement. En route pour Zembra.
Pour la plupart d’entre nous, le soulagement sera de courte durée. Le bateau qui nous emmène est un ancien bateau de pêche traditionnel de la Méditerranée, c’est à dire un pointu dépourvu de tout abri pour les passagers. Les bagages ont été rangés dans la cale. Nous sommes assis sur le pont et la mer est loin d’être calme. L’embarcation roule, tangue et embarque des embruns. En 5 minutes, tout le monde est trempé, se cramponne où il peut pour ne pas tomber. La traversée va durer plus d’une heure. Beaucoup sont malades et jurent qu’ils ne remettront plus jamais les pieds sur un bateau. Très peu apprécieront le spectacle magnifique qu’offrent l’arrivée au village et l’entrée au port.
Dès notre arrivée, des bungalows nous seront attribués et nous pourrons enfin bénéficier d’un repos bien mérité.
La suite vous en apprendra plus sur la situation de Zembra.
Situation et description de l’île de Zembra.
Maintenant que nous sommes, enfin, arrivés, il est temps que je vous donne un peu plus de précisions concernant Zembra et ses environs.
L’île de Zembra fait partie d’un petit archipel de 2 îles comprenant Zembra et Zembretta. Elles sont situées au nord du Cap Bon à 15 kilomètres environ de Sidi Daoud. La superficie de Zembra est de plus ou moins 51 km² et le point culminant s’élève à 432 m. L’île est ceinturée de hautes falaises dont certaines tombent de 400 m directement dans la mer. Le seul point d’accostage possible est le petit port, qui date de l’Antiquité.
Les vestiges trouvés aux environs du port et notamment des restes de mosaïques tendent à prouver que l’île a été occupée jadis par les Romains et les Carthaginois. Notons d’ailleurs au passage que certaines de ces splendides mosaïques ont été saccagées à grands coups de bulldozer lors de la construction des bungalows.
Le village de vacances se compose de 24 maisonnettes pouvant accueillir 96 personnes au total et d’un grand bâtiment abritant le restaurant et le bar, les bureaux, les locaux destinés au matériel sportif. Les bungalows sont construits à flanc de colline.
Deux autres petites constructions contiennent respectivement les groupes électrogènes et le (gros) compresseur pour remplir les bouteilles de plongée.
La dénomination officielle est C N I T : Centre Nautique International de Tunisie. Il a été installé dans les années 60 en collaboration avec le Centre des Glénans (Bretagne) qui a été consulté pour l’achat et l’installation du matériel.
Le centre a été exploité 2 ou 3 ans puis fermé pour manque de rentabilité.
Le matériel nautique comprend une dizaine de voiliers de croisière, des dériveurs, des bateaux à moteur pour la sécurité et la pratique du ski nautique. En 1974, tout cet équipement est à l’abandon. Dans l’atelier, les voiles rangées, sans avoir été ni rincées ni séchées, pourrissent dans les armoires . Même remarque pour la vingtaine de moteurs hors-bord qui n’ont jamais été rincés après usage et qui se sont transformés en bloc de sel et de rouille. A pleurer….
Les 2 principaux groupes électrogènes ont rendu l’âme et le village fonctionne sur le groupe de secours, beaucoup moins puissant, ce qui nous oblige à couper l’électricité de tous les bâtiments (y compris les frigos de la cuisine) pour pouvoir mettre le compresseur en route.
Le matériel de plongée est assez sommaire mais tout fonctionne. Mieux vaut ne pas savoir en quel état sont les bouteilles à l’intérieur. Il faut une certaine dose de courage (ou d’inconscience) pour les gonfler.
Un autre village de cases avait été construit par l’UCPA (Union des Clubs de Plein Air) mais ces cases ont été abandonnées et sont tombées en ruines.
En dehors de la saison touristique l’île est déserte sauf pour les milliers d’oiseaux de mer qui y nichent et en particulier, les puffins.
Les puffins cendrés sont des oiseaux de mer dont la taille se situe entre la mouette et le goéland. Leur cri ressemble à s’y méprendre aux vagissements d’un bébé. Le soir, on a l’impression d’entendre pleurer des nouveaux nés un peu partout.
Le centre dépend entièrement du continent pour son approvisionnement avec, pour conséquence immédiate, que tout le monde se met au régime si la mer est un peu trop agitée pendant quelques jours.
Au cours des 3 séjours passés à Zembra nous n’y avons jamais vu plus d’une vingtaine de touristes à la fois, ce qui explique que le centre ait à nouveau fermé ses portes en fin 76.
La plongée à Zembra.
Quelques moniteurs français assurent l’encadrement. Il vaut mieux posséder son propre matériel car les détendeurs n’ont jamais été entretenus. Par miracle, nous n’aurons jamais d’accident avec des bouteilles en mauvais état, prévues pour être gonflées à 180 ou à 150 bars et qui sont remplies à 220 bars puis exposées au soleil sur le pont du bateau de plongée.
Et la sécurité, me direz-vous ?
Avec le recul et les années d’expérience, il faut bien se rendre à l’évidence : Elle est nulle.
Des plongées souvent profondes. Sur le bateau, pas de bouteille supplémentaire, pas d’oxygène, et bien entendu, pas de radio. Le radiotéléphone de l’île fonctionne de temps à autre. Plus d’une heure de navigation pour arriver à la côte si la mer est calme puis 120 km de route jusqu’à Tunis. A l’infirmerie du centre, dénuée de tout médicament utile, un caisson monoplace. On sait maintenant que ce système a tué plus de plongeurs qu’il n’en a sauvé. De toute façon, on chercherait vainement les instructions pour effectuer une recompression avec cet engin (en supposant qu’il fonctionne…).
En revenant de plongée, il arrive que nous tombions en panne de carburant, suite à la négligence des marins.
Les plongées s’effectuent tout autour de l’île ainsi qu’à Zembrettta distante de 8 km et parfois au Cap Bon.
Elles sont spectaculaires. Les falaises verticales se prolongent sous l’eau donnant naissance à de magnifiques tombants. La faune est très riche : énormes mérous, carangues, dantis et poissons de toutes sortes. Un phoque femelle et son petit ont élu domicile dans une des nombreuses grottes sous-marines. Nous les croiserons à plusieurs reprises.
Citons pour mémoire quelques sites couramment fréquentés :
- La Cathédrale : Enorme rocher qui émerge de plus de 50 m. dont les parois sont quasiment verticales. Un tombant de 45 m environ.
- L’Antorche : Un gros caillou qui, sous l’eau, repose sur 3 piliers qui évoquent un peu la forme des racines d’une molaire. Les parois sont oranges. La base se trouve à plus de 55 m et l’eau est tellement claire que l’on voit le fond depuis la surface.
- La Grotte aux Pigeons : un ensemble de grottes sous-marines où il faut s’aventurer avec précaution sous peine de s’y perdre.
- Le Sec du village : au large de la plage (artificielle), à 40 mètres environ où d’énormes mérous sont toujours au rendez-vous.
Des vestiges de nombreux naufrages reposent sur le fond tout autour de l’île : amphores, jas d’ancre, etc…
Au cours d’une plongée à Zembretta, suite à un largage très approximatif, avec un courant très violent, nous tomberons sur une épave antique complète, les amphores sont alignées dans le sable. Malheureusement, nous sommes à plus de 40 m, le courant nous déporte énormément lors de la remontée, nous devons effectuer nos paliers (l’ordinateur de plongée est encore du domaine du rêve) suivant les tables et, lorsque nous faisons surface, nous sommes trop loin de la côte pour pouvoir prendre des repères efficaces. Malgré de nombreuses tentatives, nous ne retrouverons jamais l’épave.
Au large du Cap Bon également, les épaves sont très nombreuses.
Donc en résumé, des plongées extraordinaires qui nous feront revenir 3 années de suite à Zembra jusqu’à sa fermeture.
La fin du centre de plongée et la menace sur le site.
Le CNIT a été fermé par manque de rentabilité en fin 76. Les militaires ont alors occupé les lieux. L’île et ses environs ont été classés réserve naturelle par l’UNESCO. Plus personne ne peut s’y rendre sauf autorisation spéciale attribuée aux scientifiques qui étudient la faune et la flore des lieux.
Depuis 2 ou 3 ans, une grave menace plane sur Zembra : Des investisseurs chinois veulent y construire une marina et des hôtels de grand luxe. Cette proposition a été accueillie de manière favorable par le président déchu.
Espérons que les nouvelles autorités mettent un terme à cette absurdité grandiose qui détruirait totalement un des derniers sites préservés de la Méditerranée.
Michel Welters